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Sapiens, un singe pas comme les autres

Peter germanos

Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons de diviser l’histoire et l’avenir de la «race humaine» en trois étapes cruciales. La première, l’ère animiste, la deuxième, l’ère de la Genèse, et la dernière, celle de l’extinction de Sapiens, ou l’ère d’Homo Digitalis.
L’ère animiste prend naissance plus au moins avec l’apparition d’Homo sapiens il y a près de deux cent mille ans. Parmi les hominidés, ce primate se distingue d’un point de vue physiologique par sa bipédie, son système pileux moins dense, et, le plus important, son cerveau plus volumineux. Par rapport aux autres singes, sapiens serait «hypermétabolique», brûlant plus d’énergie afin de pouvoir faire fonctionner son cerveau «hyperconnecté».
Durant cette ère animiste qui dura de deux cent mille avant Jésus-Christ jusqu’à moins trois mille, à un millénaire près, sapiens croyait qu’il faisait un avec la nature, qu’un seul esprit animait les pierres, les animaux, les esprits ainsi que toute l’existence. Ce singe – pas comme les autres – avait la firme conviction qu’il pouvait communiquer avec les arbres, les animaux ainsi qu’avec les esprits de l’au-delà. L’ère animiste ne correspond à aucune réalité religieuse dite universaliste. C’est plutôt une philosophie de vie, une façon de concevoir le monde comme une unicité, où sapiens fait partie intégrante de la totalité. Durant cette époque, les espèces animales étaient humanisées et le respect de la nature dans sa totalité était assuré.
Trois mille ans avant Jésus-Christ, date qui coïncide avec l’expansion du monde agricole, les Sumériens racontent dans l’épopée d’Atrahasis et de Gilgamesh une histoire proche du jardin d’Éden. Vers l’an sept cents avant Jésus-Christ apparut le livre de La Genèse. Ce récit commence par la création du monde par une déité appelée Dieu, suivi d’un second relatant l’histoire du premier couple sapiens. Ce couple, à l’image du créateur, est exclu du jardin d’Eden, endroit qui coïncide étrangement avec le monde animiste où l’on parle avec les animaux et on cueille nos aliments directement des arbres pour vivre dans le monde actuel, un monde agricole où il faut labourer la terre et manger à la sueur de son front. Ce monde dans lequel vit sapiens, et d’après la vision monothéiste du monde, est consacré à ce primate particulier. À la différence des animaux considérés comme mineurs, sapiens (selon les livres de sapiens) est créé à l’image et la ressemblance de Dieu. Cette spécificité signe le divorce entre ce singe particulier et le monde animal. Les animaux sont là pour servir ce primate aux neurones hyperconnectés. La Genèse (Gn 1, 26) affirme la domination humaine sur les animaux. Sapiens est le propriétaire de l’univers. Il vaut mieux que les hommes se respectent en mangeant les animaux plutôt que de s’entre-dévorer. Dans le Talmud et le Coran, l’interdit du sang passe par l’abatage rituel (shehita) qui vide l’animal de son sang et par la cachérisation (hallal). Les poissons, eux, meurent par asphyxie. La soumission des animaux à l’homme est le résultat d’une décision divine. L’historien Lynn White dans un fameux article publié en 1967 et intitulé « Les racines historiques de la crise écologique » affirme que le monothéisme a conduit à une prédation de l’homme sur la nature. Il n’en reste pas moins que sapiens, durant cette ère de la Genèse, torture et mange les animaux, se multiplie à des taux ahurissants (plutôt comme un lapin que comme un singe), détruit son écosystème et pollue mers et airs. Sapiens est devenu un danger pour toute la vie sur terre.
Le monde qui vient est celui de l’Homo Digitalis ou plutôt de l’intelligence artificielle qui signe la fin de l’intelligence organique. La science-fiction commence aujourd’hui. La question qui se pose est la suivante : quelles conséquences aura la révolution numérique sur la survie de sapiens ? Homo Digitalis, sapiens-augmenté ou la montée de l’homme machine. Une évolution, voire un croisement inévitable, entre sapiens et la machine. Son corps, et particulièrement son cerveau pourraient être équipés techniquement pour augmenter leurs performances et rester à la hauteur des machines de plus en plus intelligentes. Une trajectoire qui pourrait bien rendre floues les frontières entre l’humain et la machine. De même, la génie génétique. Sapiens est déjà capable de jouer avec sa biologie moléculaire, de contrôler la modification de ses propres gènes, leur isolement, leur clonage, leur séquençage et leur découpage, dans un but de jouer au créateur. Une route qui pourrait bien signer la disparition de ce singe tel qu’on l’a connu il y a de cela quelques deux cent mille ans.
Peut-on arrêter le progrès ? Faut-il avoir peur de la technologie ? Quel est le rôle des institutions morales et régulatrices vis-à-vis de telles questions, comme les gouvernements et les instances religieuses ? Sapiens pourra-t-il jouer indéfiniment aux apprentis sorciers en se multipliant d’une façon arithmétique, en détruisant l’écosystème et en manipulant les gènes ? Le monothéisme est-il toujours adapté pour régir nos sociétés modernes ? Répondre à toutes ces questions dans un article court est une tâche difficile. Mais ce que nous savons, pour sûr, c’est que sapiens est juste un singe aux neurones hyperconnectés, qu’il ne se trouve pas au centre de la création, qu’il constitue juste un élément de la vie, qu’il n’est pas le maître incontestable de la nature, qu’il se multiplie d’une façon insensée et qu’il constitue désormais un danger pour toutes les formes de vie sur terre. Notre génération vit les dernières décennies de sapiens. D’une façon ou d’une autre, nous allons observer à la fin de ce siècle une ère nouvelle.

peter Germanos/l'Orient le Jour

Jeudi 7 Juin 2018