­

Notice: Undefined index: page in /home/lbnem/domains/monliban.org/public_html/monliban/ui/topNavigation.php on line 2

Roy Badaro : La vision économique avant la politique de gestion

philippe hage boutros

Alors que le gouvernement libanais vient d'engager le cabinet de conseil américain McKinsey & Company pour aider à «restructurer» l'économie du pays, Roy Badaro, économiste et ancien de l'Institut européen d'administration des affaires (Insead), déplore l'absence de vision qui caractérise la politique économique du pays.
Quel bilan pouvez-vous dresser de la première année du gouvernement nommé en décembre 2016 par le Premier ministre, Saad Hariri ?
Le Liban vient de clôturer une nouvelle année mitigée sur le plan économique, avec une croissance estimée à plus ou moins 2 % selon que l'on se base sur les estimations du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale. Il y a eu des avancées, quoique imparfaites, comme sur le dossier des hydrocarbures offshore, mais certains problèmes structurels importants demeurent, comme au niveau de la gouvernance globale et plus spécifiquement dans le secteur de l'électricité. Beaucoup d'annonces, enfin, n'ont pas été suivies d'effet, souvent en raison de différends dus à des visions politiques antinomiques. Le Liban n'a pas encore fait ses choix pour le siècle en cours.
Ces résultats mitigés ne sont-ils pas en grande partie liés aux répercussions sur l'économie libanaise du conflit syrien qui a débuté en 2011, ainsi qu'à la crise politique qu'a traversée le pays suite à la «vraie-fausse» démission de M. Hariri, début novembre, à Riyad ?
Ces facteurs ont pesé. Mais le nœud du problème, c'est l'absence de responsabilisation au sein d'une importante partie de la classe politique, ce qui ressort dans les nombreuses décisions qu'elle prend, sans oublier la corruption culturellement endémique.
Ce qui est encore plus grave, c'est que l'État n'a pas de vision économique et semble naviguer à vue. C'est ce qui ressort par exemple de ses choix en matière de revenus et de dépenses dans le budget pour 2017 adopté en fin d'année. Certes, le vote de ce texte – après plus de 12 années passées sans loi des finances – a effectivement permis de rassurer les agences de notation sur la stabilité du pays. Mais le fait qu'il ne contienne aucune vision de politique économique est en lui-même problématique. Il y a peu de chances pour que ce soit différent pour le projet de budget 2018, qui n'a toujours pas été discuté par le gouvernement (NDLR : alors que ce dernier devait en principe le transmettre au Parlement avant la fin d'octobre 2017).
En résumé, nous sommes dans une économie artificiellement enjolivée, voire « botoxée », où le but du jeu est d'arrondir les angles au nom d'une sacro-sainte stabilité indéfinie, sinon mal définie, souvent à un prix exorbitant, comme en témoigne l'explosion de la dette publique depuis les années 1990.
Dans votre ouvrage «Un projet, une nation», publié fin 2017 aux éditions Saër el-Machrek, vous estimez qu'il est essentiel de définir une vision économique. Mais n'est-ce pas précisément ce que le gouvernement vise à accomplir en engageant McKinsey & Company ?
Comment peut-on donner une telle mission à McKinsey, alors que l'État n'a aucune vision stratégique plaçant l'économique au cœur du débat ? Je ne sais pas comment McKinsey va s'y prendre pour développer des stratégies si la vision n'est pas débattue au plan national.
Or, il y a beaucoup de questions d'ordre économique qui doivent être débattues en amont, aussi bien par les politiques que par les membres de la société civile, afin de définir le rôle que le pays souhaite occuper au niveau régional, voire mondial, avant de définir les chaînes de valeurs à développer de bout en bout ainsi que leurs priorités. Dans cette optique, des institutions comme le Conseil économique et social sont essentielles, même si leur pouvoir – notamment le fait que cette instance ne peut rendre que des avis consultatifs et ne peut pas s'autosaisir – est encore trop limité par la loi.
Enfin, il est tout bonnement impossible de mener ce débat tant que le pays ne dispose pas d'une base de données statistiques économiques fiables et régulièrement mise à jour. C'est à cet égard que l'un des chantiers les plus importants – et qui n'a été mené ni en 2017 ni depuis 1990 – est le renforcement des moyens de l'administration centrale de la statistique.
Quelles sont, selon vous, les filières que le Liban doit privilégier pour pouvoir tirer le meilleur parti de ses ressources ?

Il existe plusieurs pistes intéressantes que le Liban peut explorer ; à commencer par les nouvelles technologies – comme le domaine de l'intelligence artificielle – à travers la création d'un centre de recherche universitaire et privé qui aurait vocation à devenir un pôle régional. Cela aurait, de surcroît, le mérite d'encourager les jeunes expatriés à revenir travailler au Liban et de créer ainsi plus de richesses sur place. Le développement de l'agriculture intelligente de niche est une autre piste, qui permettrait d'augmenter la rentabilité de ce secteur dont dépendent beaucoup de Libanais.

philippe hage boutros/l'Orient le Jour
Mercredi 10 Janvier 2018