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Affolante in-dépendance

Zeina Zerbé

L’hymne national s’impose à nos téléphones… comme il sonne bizarre ce «koullouna lil watan…»… le drapeau libanais est brandi le temps de quelques jours. On sent qu’il s’incruste. Indépendants depuis 75 ans… La joie supposée être ressentie n’est pas. Face à la fête, l’éprouvé ne suit pas. Comme depuis le début du mandat Aoun sur le Liban, il y a une grande dichotomie entre teneur des discours, hymnes et chants de gloire et réalité de la situation sur le terrain.
Indépendants?
Le Leitmotiv de l’ennemi qu’il faut combattre au sud et de Daesh au nord et à la Beqaa devient une rengaine obligatoire. Non, nous ne sommes pas indépendants ; non nous n’avons pas le droit de ne pas la chanter. Oublions-nous l’affaire Ziad Doueri? «Traité de paix?» Comment osons-nous? Nous devenons traitres, non pas de la Palestine ou de la nation arabe qui n’existe pas mais du Hezbollah, de ses armes, de son occupation du Liban.
C’était drôle ce matin (hier le 22 novembre) à la télévision. Les présentateurs, pour se donner une certaine cohérence et pouvoir exprimer leur ressenti de ne pas être si indépendants que cela, ont évoqué les terres occupées par Israël au sud-Liban.
Et les personnes inféodées au régime syrien qui nous narguent du haut de leurs postes au sein du gouvernement et du parlement? J’entends doucement Bachar el Assad et Hassan Nasrallah ricaner. Koullouna lil Watan… Laissons-les chanter.
L’armée? Accordons-lui le pouvoir de bloquer les routes pour mieux parader. Les décisions d’entrée dans les camps palestiniens armés, d’arrêter les terroristes que le Hezbollah transite en Syrie, de tirer sur les avions israéliens qui traversent illégalement l’espace aérien libanais sont… politiques… et puis vaut-mieux que l’armée ne touche pas aux tranchées creusées par la résistance, qu’elle ne pose pas de questions concernant le transit d’armes illégales, qu’elle ne démantèle pas les petites milices. Elle doit rester «neutre», neutre pour ne pas prendre parti pris… parti pris avec la loi? Pour éviter les scissions en son sein… donc les hommes de l’armée seraient de petits agents communautaires? Vaut mieux que les politiciens taisent leurs arguments; ils font honte.
Indépendants… et les visites de Saad Hariri en Arabie Saoudite avant toute déclaration officielle et la démission qu’il a présentée à partir de Riyad et sur laquelle il est revenue? Et la médiation d’Emmanuel Macron et les propos qui disent que les «puissances occidentales ne veulent pas la guerre pour le Liban»? Indépendants, quelle comédie!
En voyant le président et l’armée défiler on se serait à la limite pris au mirage de l’indépendance. Puis on se souvient de la place des martyrs… la place des martyrs où les libanais s’étaient réunis toutes communautés confondues un 14 mars 2005, contre l’assassinat politique et pour réclamer de nouveau l’indépendance. Cette place est désormais affublée d’immeubles incrustés et elle est scindée en rues. Ces immeubles viennent aussi parader en ce jour, dans ce lieu-emblème, entre les libanais et leur histoire, comme pour mieux la nier. Un crime à la mémoire, aux libanais et à l’indépendance… Heureuse fête de la dépendance…
Zeina Zerbé

Vendredi 23 novembre 2018